Il aurait fallu demander au soleil de ne pas se lever
Adrien, vit chez ses parents dans un appartement modeste, au rez-de-chaussée d’un immeuble.
L’histoire commence au moment où sa mère quitte le domicile familial. Il se retrouve seul avec son père, handicapé moteur partiel.
Adrien n’a aucune espérance, aucune ambition, jusqu’au moment où il découvre une lettre qui lui destinée. Cette lettre va lui ouvrir les yeux au monde. « Un regard m’a suffi », dira-t-il. Un regard pour appréhender sa vie et se dire qu’il est temps de faire un choix. Partir, ou rester ? Partir, d’accord, mais pour aller où et faire quoi ?
Extrait – Il aurait fallu demander au soleil de ne pas se lever
« Le Père : Va à la fenêtre _ Va _ Ferme cette porte _ Qu’est-ce que tu attends ? Va à la fenêtre ! _ Cette manie de laisser les portes ouvertes _ Tu la vois ?
Adrien : Non.
Le Père : Comment ça, non ?
Adrien : Non, je ne la vois pas.
Le Père : Comment _ Mais _ La porte est juste à côté. Tu devrais déjà l’apercevoir _ Elle ne déménagerait pas dans le même immeuble tout de même ? Elle t’a dit quelque chose ? Dis, elle t’a dit quelque chose ?
Adrien : Attends.
Le Père : Tu la vois maintenant ?
Adrien : Oui.
Le Père : Par où est-elle sortie ?
Adrien : Par la porte d’entrée.
Le Père : Alors ?
Adrien : Elle s’en va.
Le Père : Ça, je le sais ! Elle va où ?
Adrien : Elle s’arrête.
Le Père : Elle s’arrête ? Elle revient ?
Adrien : Attends. Je comprends pas _ Ah ! C’est le concierge qui arrive en courant.
Le Père : Alors ?
Adrien : Attends.
Le Père : Alors ?
Adrien : Il n’a pas dû avoir ce qu’il voulait. Il repart.
Le Père : Qui repart ?
Adrien : Le concierge. Maman aussi _ Elle marche lentement _ Tu n’as jamais remarqué ça, qu’elle marche lentement ?
Le Père : Hein ? Ah. Oui. Peut-être. Non. Non, elle marche vite. Elle marche toujours vite. Toujours trop vite. Trébuche. Tombe quelques fois. Regarde jamais où elle met les pieds.
Adrien : Pas là.
Le Père : Alors ?
Adrien : Elle arrive au bout de l’allée.
Le Père : Regarde bien.
Adrien : Elle s’est arrêtée.
Le Père : Encore ! Ça va pas vite son affaire ! _ Qu’est-ce que tu fais ?
Adrien : Je me cache.
Le Père : Pourquoi ? Regarde-la !
Adrien : Non ! Elle va me voir !
Le Père : Regarde-la on va la perdre !
Adrien : Elle s’est retournée, elle regarde dans notre direction. J’veux pas qu’elle me voit la regarder.
Le Père : Elle le sait, t’inquiète pas pour ça _ Regarde !
Adrien : Comment ça elle le sait ?
Le Père : Regarde !
Adrien : Non.
Le Père : Regarde à la fin !
Adrien : Attends.
Le Père : Quoi ? Qu’est-ce qu’il se passe ? Qu’est-ce qu’il y a ? _ Qu’est-ce qu’il y a ?!
Adrien : Elle est plus là !
Le Père : Ah bravo, bravo ! On ne sait pas par où elle est partie maintenant _ Bravo !
Le Père : Descends de là ! _ Attends.
Adrien : Quoi ?
Le Père : Va, va me servir un petit verre.
Adrien : Tu as vu l’heure qu’il est ?
Le Père : Et alors ? Va me servir un verre !
Le Père : Arrête !
Adrien : J’ai rien dit !
Le Père : Tu penses ! _ Sers-moi quelque chose de fort. Là. Bien fort. Un petit cognac.
Adrien : Papa _
Le Père : Quoi encore ? Cette journée va être un peu difficile alors j’ai bien le droit à un petit remontant.
Adrien : Papa, la bouteille est vide.
Le Père : Fouille dans le fond, il y en a toujours une en réserve.
Adrien : Tu as dû oublier de la changer. Il n’y a rien dans le carton d’emballage.
Le Père : C’est pas possible. Cherche bien.
Adrien : Y’a rien.
Le Père : Mais _ Oh non. Oh non, elle m’aurait pas fait ça _ Ah si. Si si, bien sûr, au contraire ! Oh la vache ! Oh la salopiaud !
Adrien : C’est pas grave.
Le Père : Parle pour toi ! Tu sais combien elles coûtent ces bouteilles ?
Adrien : Il reste du porto _
Le Père : Non !
Adrien : Du Muscat _
Le Père : Non !
Adrien : Du Martini _
Le Père : Ah non !
Adrien : Je vais te chercher une bière.
Le Père : Il n’y avait pas de la liqueur ?
Adrien : Non _
Le Père : Non non, attends, je me trompe. Une petite bouteille d’eau de vie ?
Adrien : Vraiment ?
Le Père : Un fond.
Adrien : _ Bon.
Adrien sort un verre, le remplit et l’apporte au Père.
Le Père : Je bois tout seul ?
Adrien : Oui.
Le Père : Ah non ! Prends-toi quelque chose !
Adrien : J’ai pas envie.
Le Père : Tu vas pas me laisser boire seul ! Va te chercher quelque chose de moins fort si tu préfères.
Adrien : Non.
Le Père : Va te chercher une bière ! C’est pas joyeux pour trinquer mais on va dire que ça ira bien pour cette fois.
Adrien va à la cuisine _ Il revient avec une bière.
Le Père : Approche ta bière. Allez, à nous !
Adrien : …
Le Père : Bon, à partir d’aujourd’hui _ Maintenant que ta mère _
Le Père : Y’a des choses qui vont changer dans cette baraque ! Donc, à partir d’aujourd’hui _
Adrien : Non attends je _ Je _
La Père : Quoi ?
Adrien : J’veux pas t’entendre dire, euh, ces choses-là.
Le Père : J’ai le droit de parler tout de même !
Adrien : Oui, ça _
Le Père : Il ne faut pas lui en vouloir _ C’était, comment dire. C’était pas devenu facile pour elle. Elle ne t’abandonne pas. Non non. Elle n’abandonne pas, elle, elle fuit la situation _ On peut dire qu’elle a bien tenu quand même _ Bon, en même temps, on s’est pas marié pour qu’elle me torche le cul.
Adrien : Arrête.
Le Père : Il faut le dire, ta mère a été courageuse et je comprends son départ. Même si franchement, j’vois pas comment on va faire sans elle.
Adrien : Arrête.
Le Père : Quoi ?
Adrien : Arrête tout ça _ Ne commence pas à _ Écoute, je _ Je ne m’occuperai pas de toi.
Le Père : Comment ça ?
Adrien : Je m’occuperai pas de toi.
Le Père : Il faudra bien !
Adrien : Non. T’es pas foutu de te prendre en charge une seconde _ Il y a des aides pour ça, pour les gens comme toi. Comment ils s’appellent déjà ? Ah oui, des, des « aides à domicile », voilà, des « infirmiers » aussi. Parce que moi, moi j’suis pas ton infirmier à domicile. Alors tu vas te renseigner _ Jusqu’à ce qu’il y en ait un qui débarque ici, je fais rien de plus que d’habitude. Le manger et je t’aide pour te lever et te coucher. Pour le reste, compte pas sur moi.
Le Père : Mais _
Adrien : Non non non non non non non! Il est hors de question que je sois ton larbin.
Le Père : Il ne s’agit pas de _
Adrien : Si. Tu sais très bien que si. Et je ne veux pas _ C’est pas comme la dernière fois. Elle est partie pour de bon _ Il faut que tu te prennes en main, que tu apprennes à vivre avec ton handicap. Je veux dire à vraiment vivre avec.
Le Père : …
Adrien : Hé oui.
Le Père se déplace et va remplir son verre.
Adrien : Autant s’y mettre tout de suite.
Le Père : Déjà ?
Adrien : Pourquoi perdre du temps ?
Le Père : Attends qu’on finisse nos verres ! On a toute la journée devant nous.
Adrien : Au boulot, et de suite.
Le Père : Tu m’en veux qu’elle soit partie. Tu penses sans doute que c’est de ma faute.
Adrien : Ce n’est pas ta faute, ce n’est pas la sienne et pas la mienne.
Le Père : Je sais bien que c’est de ma faute.
Adrien : J’crois pas que tu aies compris. On va pas avoir de discussion, là. Non _ Non non, on va pas _ J’veux pas _ Je ne veux pas avoir ou essayer d’avoir une relation particulière avec toi.
Le Père : C’est l’occasion.
Adrien : L’occasion de quoi ? T’as envie qu’on se parle ? Maintenant ? C’est là, maintenant, que tu veux me parler, qu’on essaie d’avoir un échange, tous les deux ?
Le Père : Pourquoi pas ?
Adrien : Ça m’intéresse pas.
Le Père : Je mérite peut-être pas d’être aimé.
Adrien : Tu as peut-être raison.
Le Père : Comme tu dis ça !
Adrien : Ne compte pas sur moi pour m’apitoyer sur ton sort.
Le Père : _ Comment on fait ? »
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